Apolitiquement parlant : évacuer la politique de la COVID-19 et intégrer la science en politique

Le 11 mai 2020

« L’héritage politique des Lumières, centré sur l’autorité civile et la rationalité, de concert avec l’essor des sociétés industrielles occidentales, a fait naître le besoin d’expertise scientifique et peut être considéré comme la source de la domination culturelle moderne de la science selon laquelle la notion de vérité est associée à la ‘connaissance approfondie’. » [Traduction]
Truth, Politics and Democracy: Understanding Post-Factual Times
Consortium européen de recherches en sciences politiques

« Les partis politiques sont des instruments essentiels au fonctionnement d’un gouvernement démocratique représentatif », a écrit F. H. Underhill, le journaliste, essayiste, historien canadien et ancien président du département d’histoire de l’Université Carleton. Il ajoute que : « Pour que l’opinion publique, sur laquelle un gouvernement démocratique s’appuie théoriquement, puisse s’exprimer d’une manière cohérente et claire, le public doit être capable de procéder à des choix sensés parmi les candidats et les idées en lice.[1] »

En tant que défenseurs engagés de la recherche et de l’innovation en santé au Canada, nous sommes tous d’accord avec le professeur Underhill. Il ne fait aucun doute que nous avons un rôle à jouer en cette période de pandémie de COVID-19. Nous pouvons apporter une expertise scientifique dans nos secteurs respectifs et proposer, à nos politiciens une feuille de route basée sur des éléments probants en ces temps incertains.

Il faut toutefois prendre garde d’énoncer des directives et d’envoyer des messages contradictoires, car les citoyens ont moins de patience pour la politicaillerie lorsque leurs vies et celles de leurs proches sont en jeu. Ils préfèrent le discours clair que la science peut offrir.

Pour la plupart, les politiciens canadiens se sont abstenus de faire de la politique dans leurs points de presse quotidiens et ont laissé aux professionnels de la médecine et aux scientifiques le soin de donner des directives aux Canadiens. Et c’est l’approche à adopter. La réponse à une pandémie ne peut être efficace que si le leadership politique est réfléchi et guidé par la science et qu’il témoigne d’une vision de l’avenir. Les Canadiens observent ce qui se passe chez nos voisins du sud qui sont assaillis par des théories de conspiration sur la COVID-19, des informations trompeuses et de faux remèdes, ce qui a laissé la population américaine confuse, non préparée et même, dans certains cas, lésée.

Si nous faisons mieux au Canada, ça ne durera toutefois qu’un temps. La politique, dans son essence et pour le meilleur et pour le pire, fait partie de tout ce que nous faisons. Alors, si nous ne pouvons pas tenir la politique à l’écart de la science, notre seule option est de mieux intégrer la science dans nos politiques pour que celles-ci soient bien informées.

Il y a un écart considérable entre les sphères scientifique et politique et certains pourraient même dire qu’il y a une exclusion systématique de la science dans notre système politique. Bien que nous ayons fait quelques pas importants au Canada sur ce plan au cours des dernières années, les scientifiques sont toujours sous-représentés au Parlement et au gouvernement. Comme l’a dit Ian Boyle : « Aristote considérait la politique comme une science législative ou un apprentissage par l’expérience. La politique était elle-même une recherche scientifique, ce qui est en contradiction avec l’adage actuel voulant que la science se situe en dehors de la politique. Dans le monde d’Aristote, les scientifiques seraient les concepteurs des politiques visant à résoudre des problèmes épineux ».

L’une des leçons de la COVID-19 pour les lobbyistes comme moi, c’est que nous devons remédier à la sous-représentation de la science au sein de notre Parlement et de notre gouvernement. Les scientifiques peuvent apporter à notre corps politique une diversité d’approches intellectuelles bien nécessaire qui remettent en question les intérêts acquis. Mais comment pouvons-nous le faire de manière plus concertée?

Sur le plan universitaire, nous devons commencer par intégrer la communication sur les politiques publiques dans la formation universitaire et créer des incitations professionnelles qui amèneront les chercheurs à s’engager dans la formation sur les politiques et l’engagement public. Quant aux parlementaires, nous devons créer des occasions de les sensibiliser à la science, notamment en organisant des activités sur la Colline qui leur permettent de rencontrer des chercheurs et des innovateurs en santé dans le cadre d’échanges individuels. Il est clair que notre Comité parlementaire sur la recherche en santé joue un rôle déterminant pour aider les parlementaires à comprendre le paysage scientifique au Canada. Les événements de ce Comité sur la Colline permettent aux chercheurs de parler directement aux parlementaires de leurs recherches et des raisons pour lesquelles elles sont importantes pour les Canadiens, gagnant d’abord leurs cœurs et ensuite leurs esprits avec les données de leurs recherches axées sur les résultats en santé.

Depuis le début de la COVID-19, Recherche Canada continue d’informer les parlementaires par l’entremise de son Aperçu mensuel d’actualités qui présente les contributions importantes que nos membres et les électeurs canadiens apportent à la recherche et à l’innovation en santé. Au cours des prochaines semaines, nous continuerons de leur offrir l’occasion de rencontrer nos meilleurs et plus brillants chercheurs et innovateurs en santé grâce à une série de présentations virtuelles de groupes d’experts sur la COVID-19. Nos membres, commanditaires et partenaires pourront visualiser la première d’entre elles, Against the Clock: COVID-19 VACCINE AND TREATMENT R&D IN CANADA qui sera présentée le 21 mai 2020 à 13 h, heure de l’Est. Pour plus d’informations et pour vous inscrire en ligne, visitez le rc-rc.ca/virtual-panel-covid-19.

Certains membres en première ligne : le passage à la santé numérique

Récemment, j’ai collaboré avec le conseiller spécial en matière de politiques de Recherche Canada, M. Ryan Wiley, Ph. D., et son équipe de Shift Health à la rédaction d’un éditorial pour le Centre sur les politiques scientifiques canadiennes intitulé : The End of the Beginning of Health Digitization. Nous y soulignons que notre expérience des dernières semaines met en lumière la capacité des données et des outils numériques de favoriser une prise de décision en temps réel, de stimuler l’innovation, d’habiliter les patients et, au bout du compte, de protéger et d’améliorer la santé et le bien-être – et qu’elle met aussi en relief le travail qu’il reste à accomplir en matière de numérisation des soins de santé.

Bien des membres de Recherche Canada ont relevé ce défi et utilisent déjà la technologie numérique de manière innovante pour offrir et prôner la prestation de soins de santé de qualité aux Canadiens. En voici quelques exemples :

Une dernière réflexion

La COVID-19 nous a appris bien des choses, notamment, et non la moindre, qu’en temps de crise, l’intégration constructive de preuves scientifiques dans la prise de décision politique suscite la confiance du public envers nos dirigeants politiques, renforce la détermination des gens à faire leur part et nous donne une voie informée et fiable pour traverser la crise. En fin de compte, les gens n’ont pas besoin de certitude ou de l’assurance que tout cela finira bientôt. Ils ont besoin de vérité, ce qui est l’objectif ultime de la science.

Restez forts et en santé et que la science vous accompagne où que vous alliez!


[1] F.H. Underhill, Les partis politiques canadiens (1974, cinquième édition)