Au-delà : Des thérapies prometteuses contre la COVID-19 et les virus émergents

Recherche Canada s’est entretenue avec Eleanor Fish, Ph. D., une conseillère scientifique du Groupe consultatif sur les thérapeutiques de la COVID-19 du gouvernement du Canada

Le Groupe de travail sur les thérapeutiques de la COVID-19 du gouvernement fédéral fournit des conseils sur les traitements les meilleurs et les plus prometteurs dans la lutte contre la COVID-19,
qu’ils en soient encore au stade de développement et méritent un soutien, notamment par l’entremise d’une demande au Fonds stratégique pour l’innovation, ou qu’il s’agisse de médicaments existants. Le Groupe de travail formule également des recommandations sur des thérapies développées pour un usage différent, mais qui peuvent avoir une application dans la lutte contre la COVID-19.

Dr. Eleanor Fish

Mme Eleanor Fish, Ph. D., fait partie des 11 conseillers scientifiques du Groupe consultatif sur les thérapeutiques. Professeure au département d’immunologie de l’Université de Toronto et scientifique émérite au Réseau de santé universitaire, elle étudie le comportement des cytokines, qui jouent un rôle dans la communication cellule à cellule pendant la réponse immunitaire du corps. Lors d’une récente entrevue avec Mme Deborah Gordon-El-Bihbety, présidente-directrice générale de Recherche Canada, Mme Fish a parlé du rôle essentiel des thérapeutiques dans la lutte contre la COVID-19 et de leur rôle important dans la préparation en vue des prochaines maladies et épidémies.

 

« Les vaccins sont un outil très important dans notre boîte à outils contre la COVID19, mais ils n’offrent pas une solution complète. »
– Eleanor Fish, Ph. D.


RECHERCHE CANADA : La campagne de vaccination est en cours au Canada et on nous a dit que tous les Canadiens qui le désirent seront vaccinés d’ici l’automne prochain. Quel rôle les thérapeutiques jouent-elles, mis à part les vaccins, dans la lutte contre la COVID-19?

ELEANOR FISH, Ph. D. : Les vaccins sont un outil très important dans notre boîte à outils contre la COVID-19, mais ils n’offrent pas une solution complète. Les nouveaux variants préoccupants indiquent que les vaccins actuels peuvent perdre de leur efficacité à mesure que les variants deviennent les souches dominantes. Cela s’explique du fait que les vaccins actuels ciblent une région de la protéine de pic du SRAS-CoV2 qui est en train de muter. De plus, on ne sait pas encore clairement si certains des vaccins dont l’utilisation a été approuvée réduisent la transmission chez les personnes vaccinées. Ajoutons à ces réserves que pour qu’il y ait immunité collective contre le SRASCoV-2, il faudra qu’au moins 70 % de la population canadienne soit vaccinée ou ait été récemment infectée. De plus, certaines personnes ne sont pas admissibles à la vaccination pour l’instant – les enfants, les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées – et elles risquent d’être infectées.

« Nous devons aussi investir des sommes considérables dans la recherche sur les antiviraux à large spectre – c’est-à-dire des traitements qui auront une application, quelle que soit l’épidémie de virus. »
– Eleanor Fish, Ph. D.

Tout cela pour dire que même si les vaccins sont un outil très important dans notre boîte à outils contre la COVID-19, nous avons besoin de thérapeutiques efficaces pour les personnes atteintes de la maladie, qu’elles soient hospitalisées ou non. Les thérapeutiques peuvent être utilisées de manière prophylactique pour protéger les personnes à haut risque d’être infectées, notamment les professionnels et la santé et les travailleurs de première ligne, et les personnes qui ont été en contact avec des personnes infectées. Les thérapeutiques sont des antiviraux efficaces qui peuvent être utilisés rapidement chez les personnes atteintes de la COVID-19, pendant la phase virale de la maladie. Elles peuvent également être utiles dans les phases pulmonaire et inflammatoire de la maladie et peuvent être administrées au bon moment à des personnes hospitalisées et non hospitalisées.


RECHERCHE CANADA : Quelles ont été les recommandations du Groupe de travail sur les thérapeutiques, et quelles mesures le gouvernement a-t-il prises sur la base de ces recommandations?

ELEANOR FISH, Ph. D. : Le Groupe de travail sur les thérapeutiques a fait plusieurs recommandations. Nous avons recommandé un soutien financier à deux entreprises – Arch Biopartners et Edesa Biotech Inc. – qui travaillent toutes deux sur des thérapeutiques ayant une application contre la COVID-19. Arch Biopartners est une entreprise canadienne de biotechnologie en phase  clinique qui vise à faire progresser le Metablok, son principal médicament candidat et un traitement contre l’inflammation des poumons, du foie et des reins dans les cas graves de COVID-19. Le gouvernement fédéral a donné suite à notre recommandation et a approuvé un financement de 6,7 millions $ à l’entreprise pour les essais cliniques de phase II du Metablok.

Edesa Biotech est une entreprise biopharmaceutique établie à Markham, en Ontario. Le gouvernement fédéral a approuvé une subvention de 14 millions $ pour permettre à l’entreprise de procéder aux essais cliniques de phase II sur une thérapie à l’anticorps monoclonal pour le traitement du syndrome de détresse respiratoire dans les cas de COVID-19. Les anticorps monoclonaux sont des anticorps produits en laboratoire qui ciblent les facteurs associés à la maladie. L’anticorps monoclonal d’Edesa cible l’inflammation dans la COVID-19. Le gouvernement fédéral a également conclu des contrats pour l’achat du médicament antiviral remdésivir, comme nous l’avions recommandé. Ce médicament est maintenant disponible pour les patients COVID-19 hospitalisés. Finalement, le Groupe de travail continue de suivre les données des essais cliniques sur d’autres thérapeutiques canadiennes et internationales qui sont évaluées aux fins de leur utilisation dans la lutte contre la COVID-19.

« Il a été démontré de manière irréfutable que les interférons doivent être considérés comme étant des antiviraux à large spectre pour les infections virales aiguës. »
– Eleanor Fish, Ph. D.


RECHERCHE CANADA : Y a-t-il d’autres projets thérapeutiques prometteurs pour sauver la vie de Canadiens et limiter l’impact de la pandémie?

ELEANOR FISH, Ph. D. : J’aimerais étendre la portée de la question pour inclure le caractère prometteur de ces projets pour aider le Canada à lutter contre d’autres épidémies et pandémies potentielles. Il est tentant de penser seulement aux thérapeutiques qui ciblent un virus particulier, comme le SRAS-CoV-2 qui cause la COVID-19, mais il est important de comprendre que la recherche et le développement connexes coûtent plusieurs millions de dollars et que les virus mutent, ce qui entraîne une résistance éventuelle au traitement qui a coûté si cher. Je crois que nous devons aussi investir des sommes considérables dans la recherche sur les antiviraux à large spectre – c’est-à-dire des traitements qui auront une application, quelle que soit l’épidémie de virus. Je m’intéresse aux antiviraux à large spectre qui cibleront les phases communes du cycle de vie des virus – ceux qui peuvent être déployés rapidement et auxquels les virus ne développeront pas de résistance.

Mes propres recherches ont porté sur l’utilisation des interférons dans le traitement des infections virales aiguës. Les interférons ciblent directement plusieurs phases différentes de la réplication virale et ils déclenchent une réaction du système immunitaire pour éliminer le virus. Ils sont utilisés depuis des années dans le traitement de certains cancers et de la leucémie, l’hépatite C chronique et la sclérose en plaques. Il a été démontré de manière irréfutable que les interférons doivent être considérés comme étant des antiviraux à large spectre pour les infections virales aiguës, particulièrement celles qui posent une menace d’épidémie mondiale de maladie grave.

« Je crois que les interférons nous offrent l’occasion de nous préparer pour n’importe quelle épidémie de virus. »
– Eleanor Fish, Ph. D.

Mon groupe de recherche a constaté des résultats positifs dans l’utilisation du traitement à l’interféron chez les patients atteints du SRAS tout comme chez les personnes infectées par le virus Ebola. Ces résultats ont mené à la réalisation d’une étude à Wuhan pendant le début de l’épidémie de SRASCoV-2. Nous avons constaté que le traitement à l’interféron alpha par inhalation accélérait la clairance virale des voies respiratoires des patients et réduisait l’inflammation. Cela a conduit à des essais cliniques randomisés et contrôlés de phase III. Je participe actuellement à un essai qui examine les effets protecteurs potentiels de l’interféron pour les contacts post-exposition d’une personne infectée par la COVID-19. De mon point de vue, les interférons nous offrent l’occasion de nous préparer pour n’importe quelle épidémie de virus.


RECHERCHE CANADA : Quelles forces de notre entreprise de recherche en santé et de notre système d’innovation en santé peut-on exploiter dans cette quête de thérapeutiques efficaces à long terme? Où faut-il apporter des changements? Quels rôles le gouvernement, les sociétés de science de la vie, le milieu universitaire et le secteur caritatif devraient-ils jouer?

ELEANOR FISH, Ph. D. : La collaboration est notre force! Cette pandémie nous a enseigné que la collaboration des secteurs public et privé est essentielle. La science universitaire a contribué à la modélisation mathématique d’interventions efficaces auprès de la population; la recherche biomédicale publique et privée a permis de développer rapidement des vaccins, des thérapeutiques et de  nouvelles plateformes technologiques; les fondations caritatives offrent un soutien financier; et les gouvernements de tous les niveaux jouent un rôle important en fournissant les ressources financières et en facilitant les processus d’approbations réglementaires. Toutefois, nos sources de financement actuelles favorisent la concurrence, ce qui mène à des silos d’excellence déconnectés les uns des autres dans tout le pays. Si nous voulons les réunir et bâtir des réseaux de collaboration pour la recherche biomédicale, les essais cliniques et les pratiques de biofabrication, les gouvernements doivent allouer les ressources qui permettront la mise en place de cette infrastructure canadienne massive.

Dans l’intervalle, le Groupe de travail sur les thérapeutiques a identifié des possibilités de renforcement de notre système de soins de santé pour se préparer à de futures pandémies et en a informé le gouvernement fédéral. En réunissant nos ressources humaines et nos installations de haut niveau, en offrant les ressources financières et les plateformes nécessaires et en protégeant la propriété intellectuelle et l’innovation, le Canada se placera dans une excellente position pour l’avenir.