La Dre Mona Nemer est la conseillère scientifique en chef du Canada. À ce titre, elle a pour mandat de donner son avis sur des questions reliées à la science et aux politiques gouvernementales qui soutiennent la science. Elle veille à ce que la science soit prise en compte dans les décisions politiques du gouvernement fédéral et à ce que la science gouvernementale soit accessible aux Canadiens.
Au début de la pandémie de la COVID-19, Recherche Canada a mené un entretien avec elle pour connaître son opinion sur un certain nombre de questions clés que nos membres jugeaient importantes pour l’entreprise de recherche en santé et l’écosystème de l’innovation en santé.
RECHERCHE CANADA : La pandémie de COVID-19 s’avère être l’une des crises sanitaires les plus difficiles de notre époque. Les chercheurs en santé s’attaquent de front au virus dans le contexte d’un système de santé qui est au premier plan dans la lutte contre la pandémie. Il s’agit toutefois d’un système qui ne dispose pas de l’infrastructure essentielle pour assurer une transition efficace vers les soins virtuels en temps de crise, ce qui entraîne l’arrêt des essais cliniques et des recherches médicales essentiels dans tout le pays. Quel rôle le conseiller scientifique en chef et le gouvernement fédéral peuvent-ils jouer pour garantir que les essais cliniques et les recherches médicales essentiels sont menés même en cas de crise de santé publique?
DRE MONA NEMER : Les chercheurs et les scientifiques du Canada et du monde entier travaillent d’arrache-pied pour mieux comprendre le virus, ainsi que ses répercussions sur les personnes et les communautés, et pour mettre au point des solutions à long terme. Mon rôle en tant que conseillère scientifique en chef (CSC) est de fournir des conseils au premier ministre et au Cabinet d’après les dernières avancées scientifiques dans la recherche sur la COVID-19.
En réponse à certains des conseils reçus, le gouvernement a mis en place des mesures pour accélérer la recherche et les essais cliniques qui sont les plus essentiels pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Le gouvernement investit actuellement plus d’un milliard de dollars pour soutenir une stratégie nationale de médecine et de recherche pour lutter contre la COVID-19, stratégie qui comprend le développement de vaccins, la production de traitements ainsi que le suivi et le dépistage du virus.
Alors que nous traversons la crise, il est tentant de se concentrer exclusivement sur les travaux et les questions concernant la COVID. Pourtant, ce n’est pas viable.
J’ai mandaté un groupe de travail pour recommander des moyens d’équilibrer les travaux qui portent sur la COVID et les travaux qui ne portent pas sur la COVID dans le système de santé. Je suis convaincue que leurs recommandations contribueront à limiter les futures interruptions des activités essentielles de recherche en santé.
RECHERCHE CANADA : Que conseillez-vous au gouvernement fédéral en ce qui concerne le financement de la recherche en santé pour les recherches et chercheurs qui ne sont pas axés sur la COVID pendant cette crise?
DRE NEMER : C’est une période très difficile pour les chercheurs et les stagiaires qui ne travaillent pas sur la recherche portant sur la COVID-19. L’arrêt de la recherche ne portant pas sur la COVID-19 a été une décision difficile, mais nous devons travailler ensemble pour prévenir la propagation de la maladie et protéger la santé publique. L’extension des bourses et des subventions pour les étudiants diplômés et les professeurs permettrait de soutenir nos chercheurs pendant cette crise. La réalisation de projets de recherche restera difficile et certains chercheurs pourraient être plus touchés que d’autres. Nous sommes impatients de reprendre toutes les activités de recherche lorsque cela sera possible de le faire en toute sécurité.
RECHERCHE CANADA : Quelles sont les leçons les plus précieuses que la COVID-19 vous a enseignées en tant que conseillère scientifique en chef, en ce qui concerne la préparation du Canada à la recherche sur les maladies infectieuses nouvelles et émergentes? Comment pourrions-nous être mieux préparés à l’avenir?
DRE NEMER : Tout d’abord, je tiens à dire que je suis très heureuse de la rapidité avec laquelle les organismes subventionnaires ont financé la recherche sur la COVID-19. L’intervention de notre communauté scientifique a été incroyable et il est clair pour moi que le Canada ne manque pas de chercheurs dévoués de haut niveau dans ce domaine. Cependant, tout ce talent et ce travail acharné ne peuvent pas aller plus loin sans une coordination solide. Cela est vrai pour l’ensemble de la chaîne d’intervention face à la pandémie, de la recherche fondamentale en virologie et en immunologie au développement de vaccins et de traitements, en passant par les essais cliniques. Je pense que nous apprendrons beaucoup de l’expérience relative à la COVID-19 sur les points à améliorer concernant la coordination de la recherche afin d’être mieux préparés pour l’avenir. D’après mes nombreuses conversations avec des chercheurs de première ligne, ces améliorations sont fortement souhaitées et j’espère donc que nous pourrons profiter de cette dynamique.
RECHERCHE CANADA : Selon vous, quel rôle important et unique les secteurs clés jouent-ils dans l’intervention face à la COVID-19 et aux futures pandémies, par exemple les centres universitaires des sciences de la santé, les universités, les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé, les collèges, les entreprises de santé et de biosciences ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux?
DRE NEMER : Une pandémie telle que celle de COVID-19 représente un énorme défi et nous avons besoin que chacun joue un rôle pour trouver la meilleure voie à suivre. Je tiens à souligner le soutien massif que nous avons reçu jusqu’à présent de la part du milieu de la recherche : les établissements d’enseignement postsecondaire et de recherche ont généreusement fait don de réactifs qui sont en pénurie en raison d’une demande de tests sans précédent, et de nombreux scientifiques spécialisés dans la réaction en chaîne de la polymérase ont proposé de faire partie de la capacité d’intensification sur le site COVID-19 Resources Canada. Je suis très reconnaissante envers toutes les personnes qui donnent de leur temps et de leur expertise.
En ce qui concerne les rôles clés, la principale tâche des gouvernements provinciaux et fédéral pendant une pandémie est de protéger la santé et la sécurité des Canadiens. Pour ce faire, ils mettent en œuvre des lignes directrices fondées sur des données probantes, achètent et distribuent de l’équipement de protection, accélèrent la recherche et le développement de mesures pour lutter contre la COVID-19 et soutiennent les collectivités dans tout le Canada. Toutefois, les gouvernements ne peuvent pas agir seuls. Ils ont besoin des dernières preuves scientifiques sur le virus pour prendre les bonnes décisions; ces preuves sont produites par des chercheurs au Canada et dans le monde entier. Les gouvernements veulent avoir accès à des traitements et des vaccins sûrs et efficaces pour mettre fin à la pandémie. Ils travaillent donc avec les universités, les centres universitaires des sciences de la santé et les entreprises pour financer les efforts et accélérer l’approbation des essais cliniques, ainsi que pour investir dans la capacité de fabrication au Canada et protéger les chaînes d’approvisionnement. Les universités, les collèges, les instituts et les écoles polytechniques soutiennent à la fois la recherche et la formation du personnel de première ligne et des services essentiels sur lequel nous comptons aujourd’hui pour que notre société continue de fonctionner en cette période de crise.
Ces établissements d’enseignement postsecondaire ont également fait un pas en avant en proposant des solutions pour répondre à la pénurie de matériel médical en utilisant des imprimantes 3D et des installations de recherche. Les entreprises du secteur de la santé et des biosciences innovent pour produire des équipements de diagnostic et de sécurité afin de soutenir l’intervention face à la pandémie. Les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé jouent un rôle important et complémentaire à celui des organismes de financement. Par exemple, au début de la pandémie, la Fondation Gates a alloué des fonds importants pour aider à renforcer les systèmes de santé africains et sud-asiatiques. Chaque secteur a un rôle important à jouer dans la lutte contre cette pandémie et le retour à une vie normale.
RECHERCHE CANADA : Bien que la recherche médicale et en santé soit menée à la fois par les universités et les hôpitaux de recherche, la crise liée à la COVID-19 a révélé que la plupart des recherches sur la santé en contact avec les patients ont lieu dans les hôpitaux, tout comme la plupart des partenariats entre les universités et l’industrie dans le domaine de la recherche sur la santé. Comment pouvons-nous garantir que le secteur de la recherche hospitalière est protégé et entretenu de manière adéquate afin qu’il dispose de ce dont il a besoin en période de crise comme celle que nous traversons actuellement?
DRE NEMER : Je voudrais tout d’abord remercier la communauté de la santé et de la recherche médicale qui a fourni des équipements de protection et des réactifs dès le début, lorsque le secteur hospitalier était confronté à des pénuries. En temps de crise, il est très important pour nous tous de travailler ensemble.
En ce qui concerne la protection, l’Agence de santé publique du Canada et les organismes de santé publique provinciaux ont fourni des directives sur la manière de protéger les employés, y compris ceux qui travaillent dans les hôpitaux. Je suis certaine que les établissements de recherche, comme d’autres employeurs, mettent en œuvre des mesures pour protéger les chercheurs dans le domaine de la santé et de la médecine des risques de contagion.
RECHERCHE CANADA : L’écosystème canadien de la recherche et de l’innovation dans le domaine de la santé s’inscrit dans un contexte mondial en ce qui concerne les découvertes et données scientifiques. La capacité du pays à intervenir face aux pandémies dépend de notre capacité à collaborer et à diffuser les données au niveau international ainsi qu’à communiquer les données de santé personnelles. En tant que conseillère scientifique en chef, quel rôle pouvez-vous jouer pour garantir que le Canada a accès à toutes les données dont nous avons besoin pendant une pandémie?
DRE NEMER : Pour répondre aux besoins urgents du gouvernement, j’ai réuni un groupe multidisciplinaire d’experts scientifiques et deux sous-groupes pour me conseiller sur les dernières avancées scientifiques concernant la COVID-19. Nous nous sommes réunis régulièrement pour discuter de ces avancées et conseiller le gouvernement concernant son intervention. Nous avons souligné l’importance de disposer de données exactes pour fournir des conseils de qualité au gouvernement. Certaines de nos recommandations portent précisément sur la collecte des données et l’accès à celles-ci.
Au niveau international, je discute régulièrement avec les conseillers scientifiques nationaux d’une douzaine de pays sur les interventions face à la COVID-19. Parmi les sujets suscitant un vif intérêt et de grandes discussions, on compte l’amélioration de la capacité des chercheurs et des autres intervenants clés à accéder au contenu de tous les articles publiés sur les coronavirus, le SRAS-CoV-2 et la COVID-19 et à le réutiliser ou à le décortiquer. Cet accès en temps opportun est essentiel, car il permet aux chercheurs de se tenir au courant du corpus de recherche grandissant et de cerner les tendances dans le cadre des efforts visant à caractériser ce nouveau virus et à faire face à la crise sanitaire mondiale qui y est associée. Je soutiens la déclaration faite le 30 janvier par le Conseil mondial de suivi de la préparation au sujet de la COVID-19, dans laquelle le Conseil appelle les pays, les institutions, les communautés et les partenaires à veiller à ce que toutes les informations pertinentes sur l’épidémie soient diffusées ouvertement et rapidement.
RECHERCHE CANADA : Les chaînes d’approvisionnement mondiales pour les tests, les traitements et les vaccins sont gravement perturbées pendant les pandémies, ce qui diminue notre capacité à répondre aux besoins critiques des patients pendant ces crises. Que peut faire le conseiller scientifique en chef pour faciliter l’accès aux chaînes d’approvisionnement dont nous avons besoin pour lutter efficacement contre les pandémies?
DRE NEMER : Pour que le plan d’intervention contre la COVID-19 soit efficace, il est essentiel de veiller à ce que nos chaînes d’approvisionnement continuent à fournir des tests et des produits pharmaceutiques. Bien que cette question ne relève pas directement de mon travail, je peux dire que les discussions que j’ai eues avec des experts de tout le pays ont contribué à clarifier les risques sanitaires liés aux perturbations de ces chaînes d’approvisionnement. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des trousses de dépistage.
L’atténuation de l’incidence de cette pandémie dépend de notre capacité à comprendre la prévalence de la maladie et la façon dont elle se propage au sein de nos communautés. Il est essentiel de procéder à des tests complets en temps utile pour développer cette compréhension, et des chaînes d’approvisionnement saines sont nécessaires pour y parvenir. Je suis convaincue que les fonctionnaires des ministères de l’Industrie (Innovation) et de la Santé s’emploient à faire en sorte que nos chaînes d’approvisionnement continuent de fonctionner au plus haut niveau possible en cette période d’incertitude.
RECHERCHE CANADA : Nous avons pris note des processus accélérés d’approbation et de financement de la recherche en santé liée à la COVID-19. Ces mécanismes accélérés soulèvent certaines questions, notamment concernant le risque supplémentaire encouru par rapport aux processus réglementaires habituels, qui sont plus longs. Envisage-t-on d’assouplir la réglementation pour adopter une approche réglementaire habilitante, responsable et fondée sur les risques qui permet aux patients canadiens d’accéder plus rapidement aux traitements et autres innovations en matière de santé à l’avenir?
DRE NEMER : La santé et la sécurité des Canadiens constituent une priorité pour le gouvernement et les organismes de réglementation. Santé Canada travaille avec un sentiment d’urgence et de responsabilité à l’accélération des approbations d’essais cliniques pour d’éventuels traitements et vaccins. Je crois comprendre que la même diligence raisonnable est exercée, mais dans un délai beaucoup plus court.
En fin de compte, les innovations et les traitements en matière de santé dont l’utilisation est approuvée au Canada seront fondés sur des données scientifiques et probantes solides. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre la rapidité et la sécurité des Canadiens.