Recherche Canada s’est entretenue avec Ingrid Waldron, Ph. D., une championne de la recherche sur le racisme environnemental au Canada
Ingrid Waldron, Ph. D., est professeure et titulaire de la chaire HOPE en paix et en santé du programme de Paix et justice sociale dans le monde de la Faculté des sciences humaines, à l’Université McMaster. Elle est également fondatrice et directrice générale de l’Environmental Noxiousness, Racial Inequities & Community Health Project (le projet ENRICH – sur la nocivité de l’environnement, les inégalités raciales et la santé communautaire), et cofondatrice de la Coalition canadienne pour la justice environnementale et climatique.
Recherche Canada a décerné à Mme Waldron son Prix du leadership en promotion de la recherche 2020 pour son immense contribution à la promotion de la recherche en santé pour les communautés noires, autochtones et immigrantes du Canada. Nous avons la chance de compter Mme Waldron parmi les membres de notre conseil d’administration et de notre groupe de travail sur la justice autochtone et raciale dans la recherche en santé et les innovations connexes. Nous nous sommes entretenus avec Ingrid Waldron à la fin de mars 2022 pour en savoir davantage sur ses recherches sur le racisme environnemental. Voici un compte rendu de cette entrevue.
« Mon but ultime, c’est de créer des partenariats solides avec les communautés que je sers. »
– Ingrid Waldron, Ph. D.
RECHERCHE CANADA : Mme Waldron, Recherche Canada a eu le plaisir de vous décerner son Prix du leadership en promotion de la recherche 2020 en reconnaissance de votre recherche innovante en matière de racisme environnemental qui intègre l’engagement de la communauté et le renforcement de ses capacités. Pouvez-vous nous expliquer comment le racisme environnemental mène à de piètres résultats en santé au sein des communautés racialisées?
INGRID WALDRON, Ph. D. : L’expression « inégalités en matière de santé environnementale » est utilisée pour décrire les disparités en matière de santé que subissent les communautés qui sont regroupées de manière disproportionnée à proximité ou aux environs de projets qui représentent des dangers pour l’environnement. Le cancer, les troubles du spectre de l’autisme, les maladies respiratoires, les maladies cardiovasculaires, les problèmes de reproduction, les éruptions cutanées et les problèmes gastro-intestinaux ne sont que quelques-uns des risques sanitaires auxquels sont exposées ces communautés qui vivent à proximité de substances toxiques.
Les communautés autochtones et noires avec lesquelles j’ai travaillé ont connu des taux élevés de cancer, de problèmes de reproduction et de maladies respiratoires qui, selon elles, sont liés aux substances toxiques dans leurs communautés, comme la contamination de l’eau et la pollution de l’air associées à des projets dangereux pour l’environnement.
RECHERCHE CANADA : Pouvez-vous nous expliquer comment votre recherche dans ce domaine exerce de par sa nature un impact transformateur dans ces communautés?
MME WALDRON, Ph. D. : Je pense que ma recherche a été transformatrice parce que je l’ai conçue de manière à ce qu’elle soit basée sur la communauté et engagée dans la communauté. Si l’impact a été transformateur, c’est aussi parce que je suis restée impliquée dans les communautés avec lesquelles j’ai travaillé en restant à l’écoute et en maintenant des relations avec elles bien après la fin de l’étude.
Les communautés ont tendance à s’investir davantage dans la recherche et dans ses résultats si on leur offre la possibilité de l’orienter et si toutes les parties concernées peuvent donner leur point de vue par rapport à la conception de l’étude, à la collecte et à l’analyse des données et aux approches utilisées pour en diffuser ensuite les conclusions. Il est également important de renforcer les capacités dans les communautés de manière à ce qu’elles puissent prendre les rênes et mener leurs propres projets. C’est mon but ultime lorsque je réalise des études : renforcer les capacités dans les communautés marginalisées en leur offrant les outils, les compétences et les ressources dont elles ont besoin pour régler elles-mêmes les problèmes dans leur communauté, à leur manière et à leur rythme.
« Les communautés ont tendance à s’investir davantage dans la recherche et dans ses résultats si on leur offre la possibilité de l’orienter. »
– Ingrid Waldron, Ph. D.
Par exemple, à Shelburne et à Lincolnville, en Nouvelle-Écosse, j’ai rassemblé une équipe de scientifiques de l’environnement, d’étudiants en science de l’environnement et de dirigeants municipaux pour mener les premiers projets d’analyse de l’eau dans ces deux villes. Les résidents voulaient savoir depuis longtemps quelle était la teneur en contaminants de leur eau. Nous avons dressé un rapport du projet qui leur a donné les réponses à leurs questions et nous avons tenu plusieurs ateliers sur la gestion de l’approvisionnement en eau potable et les liens entre les divers contaminants et les maladies. Ces activités ont contribué à renforcer les capacités de ces communautés et leur ont donné des connaissances et des compétences qu’elles n’avaient pas auparavant. De plus, Shelburne et Lincolnville savent maintenant mieux comment naviguer dans les réseaux professionnels et politiques pour traiter des questions qui les préoccupent.
Les résidents de Shelburne continuent d’ailleurs d’effectuer un travail fantastique à cette fin, et ils obtiennent des résultats probants. Le puits communautaire qu’ils réclamaient leur a été offert par l’acteur Elliot Page, que j’avais mis en contact avec eux grâce au documentaire de Netflix basé sur mon livre qu’Elliot a coréalisé et coproduit.
RECHERCHE CANADA : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les compétences que vous renforcez dans les communautés racialisées pour leur donner les moyens d’agir et de déterminer leurs propres destinées?
MME WALDRON, Ph. D. : J’ai travaillé principalement avec des communautés à faible revenu, géographiquement isolées et qui n’avaient pas nécessairement accès à des contacts tels que des hydrogéologues ou des scientifiques de l’environnement pour réaliser des analyses d’échantillons d’eau. L’une des choses que j’apporte à ces communautés, c’est le réseau professionnel et politique que j’ai pu développer grâce à l’accès que j’ai à ces types de réseaux. Autrement dit, je suis consciente du privilège que j’ai en tant que professeure et j’essaie de m’en servir pour soutenir les communautés.
Il est toutefois important de reconnaître que les membres de ces communautés sont des spécialistes de leurs propres vies. Ils connaissent leurs besoins, mais bien souvent, ils n’ont pas l’influence sociale, économique et politique nécessaire dans notre société pour avoir accès à diverses ressources. Lorsque j’ai commencé à travailler avec les gens de Shelburne, j’ai pu leur donner accès à divers spécialistes, qu’il s’agisse d’un hydrogéologue ou un professeur en science de l’environnement, qui étaient prêts à offrir leurs services gratuitement, ou l’accès à des ressources financières grâce à des subventions universitaires.
« Il est toutefois important de reconnaître que les membres de ces communautés sont des spécialistes de leurs propres vies. Ils connaissent leurs besoins, mais bien souvent, ils n’ont pas l’influence sociale, économique et politique nécessaire dans notre société pour avoir accès à diverses ressources. »
– Ingrid Waldron, Ph. D.
RECHERCHE CANADA : Comment utilisez-vous le multimédia pour diffuser le résultat de vos recherches et sensibiliser au racisme environnemental?
MME WALDRON, Ph. D. : La créativité a toujours été très importante pour moi et j’essaie de l’intégrer dans ma façon de diffuser les résultats de mes recherches. J’utilise donc diverses approches à cette fin, dont la création d’un film documentaire, la projection de films, les cartes de récits, les spectacles (comme l’événement artistique annuel Nocturne, à Halifax), les activités d’engagement du public, une émission télévisée en direct, les médias sociaux, les médias traditionnels et la publication de livres et d’articles dans des revues.
Les jeunes s’informent principalement à partir des médias sociaux. D’après mon expérience, ce sont également les jeunes qui s’intéressent le plus aux questions de racisme environnemental et de changement climatique. Si je veux que mon message se rende jusqu’à eux, il est important que je transmette les résultats de mes études dans les plateformes qu’ils utilisent.
Mon documentaire sur Netflix a également eu un réel impact pour sensibiliser au racisme environnemental dans le monde, si j’en juge par le nombre considérable de personnes qui m’ont contactée à ce sujet et m’ont demandé comment les aider après la première du film au Festival du film de Toronto en 2019 et son lancement sur Netflix en 2020.
RECHERCHE CANADA : Comment transformez-vous les données générées par vos recherches en impact politique? Parlez-nous des projets de lois que vous avez présentés aux gouvernements?
MME WALDRON, Ph. D. : J’ai commencé à m’engager dans le travail politique ou législatif en 2015, alors que j’étais en Nouvelle-Écosse. J’ai collaboré avec la députée Lenore Zann au premier projet de loi d’initiative parlementaire présenté à l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse sur le racisme environnemental. Le projet de loi s’est rendu en deuxième lecture, mais n’a jamais été approuvé. En 2020, Lenore m’a contactée pour modifier ce projet de loi et en faire un projet de loi fédéral sur le racisme environnemental – le projet de loi C-230. Elle l’a présenté au Parlement en février 2020 et l’a débattu en deuxième lecture en 2020 et 2021. Il a été approuvé en deuxième lecture et avec des amendements au printemps de 2021, mais malheureusement, il est « mort au feuilleton » au déclenchement d’une élection surprise à la fin de l’été 2021. Elizabeth May a récemment ressuscité le projet de loi maintenant appelé C-226 et l’a présenté au Parlement le 2 février 2022. Il sera débattu à la fin d’avril 2022. J’ai récemment lancé une campagne avec des partenaires pour soutenir le projet de loi qui, je l’espère, deviendra la première loi sur le racisme environnemental au Canada. J’encourage d’ailleurs le public à communiquer avec moi pour obtenir un supplément d’information sur ce projet de loi et sur la façon d’appuyer son adoption par le Parlement.
RECHERCHE CANADA : Parlez-nous du manque de financement pour le type de travail que vous réalisez. Comment le Canada peut-il faire mieux?
MME WALDRON, Ph. D. : Pour de nombreuses organisations dirigées par des personnes noires, il est difficile d’obtenir du financement, et encore plus si l’organisation se concentre sur des questions environnementales. Je pense que l’on peut attribuer cela au fait que les personnes de couleur ont été exclues du secteur de l’environnement et du climat, malgré le fait que nous sommes membres de communautés qui sont touchées de manière disproportionnée par la dévastation de l’environnement et du changement climatique. Je pense que pour bien des bailleurs de fonds, les personnes noires ne sont pas considérées comme d’authentiques chefs de file dans ce secteur et qu’en conséquence, il y a un manque de confiance considérable dans notre capacité d’effectuer le travail et de produire des résultats tangibles.
Ces questions ont d’ailleurs été traitées dans un merveilleux rapport publié en 2020 : Unfunded: Black Communities Overlooked by Canadian Philanthropy: https://carleton.ca/panl/2020/unfunded/
RECHERCHE CANADA : Quelles sont les prochaines étapes pour vous et vos recherches? Dites-nous comment l’avenir se présente ou comment vous aimeriez qu’il se présente?
MME WALDRON, Ph. D. : En ce qui concerne les prochaines étapes, j’aimerais m’impliquer davantage dans des projets liés au changement climatique et à la justice climatique. Bon nombre de communautés marginalisées ne sont pas incluses dans les travaux sur le changement climatique, alors j’aimerais voir comment je pourrais les mobiliser davantage.
Mon but ultime, c’est de créer des partenariats solides avec les communautés que je sers. Je suis récemment revenue en Ontario après avoir vécu et travaillé à Halifax pendant 13 ans. Je suis donc en train d’établir de nouvelles relations et de nouveaux partenariats avec BIPOC et d’autres communautés de la région du Grand Toronto et de l’Ontario. Je devrai être patiente, car il faut du temps pour établir des relations et instaurer la confiance.
Pour en savoir plus sur les travaux d’Ingrid Waldron :
Environmental Noxiousness, Racial Inequities & Community Health Project (le projet ENRICH) : www.enrichproject.orgLivre de Mme Waldron : There’s Something in the Water: Environmental Racism in Indigenous and Black Communities
Twitter : @ingrid_waldron
Campagne de soutien au projet de loi C-226
Documentaire There’s Something in the Water, maintenant disponible sur Apple TV et Amazon